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LA DOUBLE MAÎTRESSE

ni de quoi lui parler, ni par quoi remplacer les jeux de jadis ou les leçons de l’an dernier, et il restait en suspens, attiré vers elle par leur ancienne camaraderie et éloigné d’elle par le défaut de ce qui eût pu y suppléer. À cela s’ajoutait une peur confuse. L’abbé Hubertet, en quittant Nicolas, avait cru devoir l’avertir de certains dangers qu’il rencontrerait peut-être sur sa route. Certes, avec mesure et réserve, il avait donné à Nicolas l’idée qu’il y a un péril à la société des femmes et Nicolas, sans avoir commis la faute, n’ignorait pas complètement l’existence du péché. Pourtant peu à peu il se rassura et sortit de sa cachette.

L’adroite Julie prit grand soin de ne faire aucune attention à son cousin. Elle comptait sur sa jolie figure. Le gros Portebize lui en avait maintes fois peint les charmes et vanté l’attrait et elle en attendait avec confiance les effets inévitables ; mais dans l’attente elle s’ennuyait. Nicolas tardait à s’apprivoiser.

Ce fut donc elle qui brusqua les choses.

Un après-midi, elle aperçut son cousin assis sur le banc où autrefois ils se rencontraient d’habitude. Nicolas paraissait réfléchir profondément et traçait des ronds du bout de sa canne. Julie se rappela que, pendant les repas, il la regardait à la dérobée, et, ce matin, plusieurs fois, à table, elle avait surpris ses yeux. Elle était charmante ce jour-là. Mme de Galandot lui avait acheté plusieurs pièces d’étoffe commune, mais claire et de couleurs gaies. Les vieilles servantes y avaient taillé une robe à l’ancienne mode, comme