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LA DOUBLE MAÎTRESSE

passa. Les années s’écoulèrent, et ce ne fut que bien longtemps après que je retrouvai M. de Galandot.

« Malgré cette longue absence nous nous reconnûmes aisément et nous tombâmes aux bras l’un de l’autre, au grand étonnement des passants, car c’était juste au milieu du Pont-Neuf. Nous venions en sens inverse et, du plus loin que nous nous aperçûmes, nous fûmes sûrs de nos visages. La laideur ne change guère et ma figure en mérite d’être assez durable ; la sienne ne me parut point trop modifiée et cette rencontre me fut douce.

« J’appris de lui que, quelques années après la mort de sa mère, il s’était rendu à Paris. Je me doutai bien qu’il y devait mener une vie retirée, car ses goûts ne le portaient guère à la dissipation et au libertinage. Je ne me trompais point, mais je m’aperçus qu’il vivait dans une singulière oisiveté et dans un grand désœuvrement d’esprit et je ne m’expliquai pas ce qui avait pu lui faire préférer le séjour de la Cité à celui de Pont-aux-Belles. Ce fut pour combattre cette paresse que j’eus l’idée de l’intéresser à mes travaux et d’utiliser, pour combler son loisir continuel, les études auxquelles j’avais pris soin de familiariser sa jeunesse. J’y réussis au-delà de toute espérance. Peu après je l’introduisis dans une compagnie où il se plut et où il plut par sa complaisance et sa politesse. On ne s’occupait guère là des choses du siècle et la conversation n’y roulait point sur des sujets à la mode ; mais ces messieurs n’avaient point leurs pareils pour la connaissance des an-