Page:Régnier Double maîtresse 1900.djvu/308

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

hauteur de ses yeux, tantôt vite, tantôt s’arrêtant pour la faire tourner entre ses doigts.

M. de Galandot, d’en bas, suivait ses gestes avec anxiété. À chacun des grains juteux et ambrés qu’elle mettait dans sa bouche, il éprouvait dans la sienne une fraîcheur délicieuse ; il lui semblait savourer je ne sais quoi de secret et de mystérieux ; il se sentait agité d’une émotion ardente et langoureuse. Un grand silence engourdissait l’air chaud.

Nicolas regardait. Sa main tremblait sur la pomme de sa canne. Une sueur froide lui coulait du visage. Il sentait revenir du fond de sa vie un trouble subtil et connu qui l’envahissait peu à peu. Cette jeune femme qui, les bras levés, la poitrine nue, mangeait un raisin, lui apparaissait comme debout au fond de son passé. Une heure lointaine et oubliée renaissait dans la minute présente. Il restait étourdi, le dos au mur. Ses lèvres balbutiaient un nom qu’il n’avait pas redit depuis de longues années : « Julie ! Julie !… »

— « Olympia, Olympia ! » cria dans le même moment une voix fort et gaie.

Une porte s’ouvrait dans le jardin en contrebas de la terrasse. Un chien jappa.

— « Olympia, viens donc voir l’habit que m’apporte Cozzoli, continua la voix.

— Venez, signora », dit à son tour un fausset aigu où M. de Galandot reconnut le petit tailleur.

La signora ne se dérangeait guère. Elle faisait tourner rapidement la grappe entre ses doigts. Il