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LA DOUBLE MAÎTRESSE

narines. À leur défaut, il se contentait de ceux de nos jardins.

Les groseilles et les framboises l’amusaient par leur acidité et leurs parfums ; il estimait les cerises, les plus aigres comme les plus douces, les plus rebondies et les plus molles ; les pommes lui agréaient assez. Quant aux pêches, elles le réjouissaient infiniment, celles dont le jus surabonde et celles dont une moiteur sucrée pénètre le fruit tout entier et se répand dans chacune de ses fibres ; mais les poires lui paraissaient mériter sa préférence.

Il leur trouvait une diversité de goûts singulière. Elles sentent tour à tour la pluie, la feuille morte et la fourmi. Leur chair est granuleuse ou tendre, acide ou succulente ; elles ont une personnalité particulière ; leur saveur est individuelle ; leur maturité est longue, elle commence en été, remplit l’automne de ses surprises délicieuses et dure jusqu’en hiver ; elles sont tachetées et lisses comme des poissons et se faisandent comme des gibiers.

Cette passion immodérée des poires faisait sa victime du pauvre abbé. Dès que la saison favorite approchait, il ne manquait plus de visiter chaque jour les espaliers. Il les savait presque branche par branche ; il surveillait chaque fruit, ressentait leur perte si le vent les détachait avant l’heure ou si les guêpes les entamaient. Parfois, il en ramassait de tombés et les regardait avec regret dans sa grosse main qu’ils remplissaient de leur rondeur inachevée ou maladive.

S’il les connaissait à l’arbre, il les reconnaissait