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LA DOUBLE MAÎTRESSE

Quand on vint constater les particularités de la mort de M. de Mausseuil et relever son cadavre, on crut d’abord à un crime, car l’arme manquait avec laquelle il avait dû se faire ses épouvantables blessures. Ce ne fut qu’ensuite qu’on la retrouva aux mains de Mlle Armande de Mausseuil, et, plus exactement, sous son oreiller où des traces de sang la firent découvrir à la piste.

Mlle Armande, sœur d’Hubert de Mausseuil et de Jacqueline de Galandot, était une créature lamentable. Folle depuis des années, elle errait misérablement dans Bas-le-Pré, vêtue de haillons et couverte d’oripeaux. Sa grosse tête lippue et baveuse se surmontait de coiffures compliquées qu’elle échafaudait de ses mains tremblantes et où elle employait tout ce qui se présentait à elle. Elle les parachevait avec des plumes de vieux plumeaux qu’elle ramassait dans les coins ou avec les ailerons de volailles qu’elle cherchait à la basse-cour. Sa bouche laissait découler continuellement deux jets de salive qui se rejoignaient sous le menton et en tombaient goutte à goutte à chacun de ses mouvements. Avec cela, sournoise et pleurarde, de telle sorte que ses larmes mouillaient le fard dont elle se plâtrait. Elle passait ses mains humides sur ses joues au vermillon et elle rôdait ainsi, barbouillée et grotesque, traînant un vieux soufflet d’où elle s’imaginait tirer de la musique ou faisant tourner pendant des heures quelque petit moulin de papier qu’elle avait volé à sa petite nièce Julie.

La maniaque dérobait, en effet, tout ce qui lui