Page:Réveillaud - Histoire du Canada et des canadiens français, de la découverte jusqu'à nos jours, 1884.djvu/144

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féodales et la création d’un apanage pour leurs descendants. La traite des fourrures offrant la perspective de bénéfices plus aisés et plus prochains, chacune de ces nouvelles « châtellenies » de la forêt forma une sorte de comptoir où l’on échangeait les pelleteries rapportées par les Indiens contre les marchandises européennes à leur usage. Vivant eux-mêmes isolés, avec un très petit nombre d’engagés européens, au milieu des Indiens, ces gentilshommes des bois se rapprochèrent de ceux-ci par un régime de vie demi-civilisé, demi-barbare, s’en firent aimer par leur bonne humeur sans morgue, estimer par leur bravoure intrépide, et conquirent, sur les tribus voisines, une puissante influence. Michelet parle avec enthousiasme des alliances de nos aventuriers français, de nos coureurs des bois, avec les indigènes : « Ils n’avaient, dit-il, ni l’orgueil ni l’exclusivisme de l’Anglais, qui ne comprend que son anglaise. Ils n’avaient point les goûts malpropres, avares, du segnor espagnol, son sérail et ses négrillons. Libertins près des femmes, du moins ils se mettaient en frais de soins et de galanterie. Ils voulaient plaire, charmaient et la fille et le père, les frères, dont ils étaient les hardis compagnons de chasse. La tribu accueillait volontiers les fruits de ces amours, des métis d’une vaillante race. Notre émigrant français, roturier en Europe, simple paysan même, était noble là-bas. Il épousait telle fille de chef, parfois devenait chef lui-même… Un petit nombre de Français eût pu créer ainsi un grand empire colonial, un grand empire métis, en se greffant par mariages sur le peuple indigène, le pénétrant d’esprit européen. Véritable colonisation, qui eût sauvé et transformé la