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à la nécessité d’avoir des vocables spéciaux pour des faits spéciaux, devaient nécessairement amener la création de ces mots nouveaux ; c’est ainsi qu’en Louisiane on appelle bayou ces coulées de terres basses et marécageuses que les Portugais désignent sous le nom d’arroyos et qui ailleurs portent les noms « d’estey » et de « ruisson. » Tout ce qu’on peut demander à ces termes spéciaux, c’est d’avoir une racine, ou tout au moins une tournure, une physionomie française, et c’est la condition que remplissent fort bien, outre les mots que nous avons cités plus haut, les mots suivants qui ont aussi conquis droit de cité dans le vocabulaire canadien : cage ou cajeu pour désigner un train de bois (le mot caiche, terme de marine qui désigne ou qui désignait un petit bâtiment ponté, a pu influer sur la formation de ce mot) ; cordon (quart de corde), mesure pour le bois ; demiard, nom d’une mesure de liquides ; traîne, grand traîneau ; germage, pour désigner une maladie des céréales qui, après avoir été fauchées et mises en javelles, germent sur le sillon ; manchonnier, pour désigner un faiseur de manchons, industrie commune au Canada.

Il y a lieu d’être plus sévère pour d’autres locutions, soit parce qu’elles ne font pas assez honneur à la politesse traditionnelle de notre race, — notamment le mot créatures, employé comme synonyme de femmes ou de jeunes filles, — soit parce qu’elles ont des équivalents plus exacts dans notre langue : embarquement, débarquement, pour désigner le lieu où l’on embarque et débarque, ce que nous appelons, d’une désinence empruntée aux Espagnols : embarcadère ou débarcadère.

Mais tout cela n’est rien, d’autant plus que tous les Canadiens instruits sont prévenus de ces idiotismes et n’ont qu’à s’observer pour en débarrasser leur langage. Rien de ce que nous avons relevé jusqu’à présent n’altère sérieusement le caractère de la langue française. Il en serait autrement et le danger serait bien plus grave si le voisinage des Anglais et le