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Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome III (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/22

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deux vôtres colonels Riflandouille et Tailleboudin en cetui conflit nous promet assurance, heur[1] et victoire, si, par fortune, ces andouilles nous voulaient outrager.

— Vous le prenez bien, dit Pantagruel, et me plaît que par les noms de nos colonels vous prévoyez et pronostiquez la nôtre victoire. Telle manière de pronostiquer par noms n’est moderne. Elle fut jadis célébrée et religieusement observée par les Pythagoriens. Plusieurs grands seigneurs et empereurs en ont jadis bien fait leur profit. Octavien Auguste, second empereur de Rome, quelque jour rencontrant un paysan nommé Eutyche, c’est-à-dire bien fortuné, qui menait un âne nommé Nicon, c’est en langue grecque victorien, mû[2] de la signification des noms tant de l’ânier que de l’âne, s’assura de toute prospérité, félicité et victoire. Vespasien, empereur pareillement de Rome, étant un jour seulet en oraison on[3] temple de Sérapis, à la vue et venue inopinée d’un sien serviteur nommé Basilides, c’est-à-dire royal, lequel il avait loin derrière laissé malade, prit espoir et assurance d’obtenir l’empire romain. Régilian, non pour autre cause ni occasion fut par les gens de guerre élu empereur que par signification de son propre nom. Voyez le Cratyle du divin Platon.

— Par ma soif, dit Rhizotome, je le veux lire : je vous ouïs souvent l’alléguant.

— Voyez comment les Pythagoriens, par raison des noms et nombres, concluent que Patroclus devait être occis par Hector, Hector par Achilles, Achilles par Pâris, Pâris par Philoctètes. Je suis tout confus en mon entendement, quand je pense en l’invention admirable de Pythagoras, lequel, par le nombre par ou impar des syllabes d’un chacun nom propre, exposait de quel côté étaient les humains boiteux, borgnes, goutteux, paralytiques, pleurétiques et autres tels maléfices[4] en nature, savoir est, assignant le nombre par au côté gauche, l’impar au dextre.

— Vraiment, dit Épistémon, j’en vis l’expérience à Saintes, en une procession générale, présent le tant bon, tant vertueux, tant docte et équitable président Briand Valée, seigneur du Douhet. Passant un boiteux ou boiteuse, un borgne ou borgnesse, un bossu ou bossue, on lui rapportait son nom propre. Si les syllabes du nom étaient en nombre impar, soudain, sans voir les personnes, il les disait être maléficiés[5], borgnes, boiteux,

  1. Bonheur.
  2. Poussé par.
  3. Au.
  4. Disgrâces.
  5. Contrefaits.