Page:Rabelais - Gargantua et Pantagruel, Tome I (Texte transcrit et annoté par Clouzot).djvu/29

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que le mot humour — ne l’a-t-on pas déjà remarqué ? — n’existe pas dans la langue française, et que nous avons peine à nous imaginer une œuvre où l’auteur aurait accumulé les peintures les plus plaisantes des hommes et des choses de son temps sans autre but que de donner carrière à son humeur joviale et à son plaisir de raconter. Mais le roman rabelaisien ne connaît ni le fiel ni la passion. Il reste bien au-dessous des attaques virulentes des libres prêcheurs du xve siècle, des invectives d’Olivier Maillard, des pamphlets d’Ulric de Hutten et des protestants.

Bienheureux, a-t-on dit, le pays qui serait gouverné pardes géants comme Gargantua et Pantagruel ! Les plaideurs, pourrait-on ajouter, qui auraient affaire à Perrin Dandin, et même à cette âme simple et candide de Bridoye, ne seraient pas non plus bien à plaindre, tant Rabelais a tracé avec bonhomie ces figures de la petite judicature à laquelle appartenait son père.

Les moines ? Certes il les fustige de temps à autre avec une vivacité où l’on devine quelque rancune personnelle. Mais ne sent-on pas au fond qu’il leur garde une sympathie involontaire ? Ne restent-ils pas pour lui « les béats pères » ? Ne fait-il pas cause commune avec eux contre les femmes ? Ne garde-t-il pas une complaisante indulgence pour leurs grasses plaisanteries, leur paresse, leur gourmandise ? Ne fait-il pas surtout de frère Jean son héros préféré, l’âme et la joie du roman ?

Même pour la papauté — exception faite de l’Ile sonnante qui comme l’épisode des Chats fourrés ne nous est certainement pas parvenue dans sa rédaction définitive — Rabelais ne peut en vouloir beaucoup à cette cour romaine où il a puisé des souvenirs inoubliables. S’il condamne en bon gallican, et sans doute d’accord avec le roi, la simonie, le trafic des indulgences, l’abus des dispenses, c’est presque de la tendresse qu’il montre pour ces « bons christians » de papimanie et pour le père Hypothadée.

Le roman rabelaisien est donc mieux qu’une satire, c’est une œuvre humaine, sans système ni parti-pris. Maître François peint les hommes et les choses de son temps, à peu