Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/203

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l’existence d’un animal, elle vivait d’une vie de plante, elle végétait, le cerveau tout brusquement rétréci par l’écrasement de son amour, et la force du coup lui ôtait la pensée : elle ne rêvait plus, ne désirait plus, s’enroulant dans ses propres bras, dormant toute l’après-midi, s’éveillant au crépuscule ; alors, se déroulant membres et cheveux, elle cherchait de l’air, ouvrait les vitrages d’un mouvement machinal, puis s’ablutionnait parce que les pores de sa peau avaient souvent des soifs terribles. Lion, au moins, lui, jouait, miaulait, exécutait des clowneries dans les cordages des stores et bouleversait les coussins en courant à la poursuite d’un morceau de papier. Mais Laure se fatiguait de tous les jeux, semblait regretter tous les gestes inutiles et regardait le vide sans essayer de voir. Le malheur, si peu appréciable, d’une séparation d’un mois, la rendait veuve… Car un mois, pour ceux qui ne comptent que le moment présent c’est l’éternité. Elle se métamorphosait, oubliait jusqu’à la cause première de sa torpeur. Durant certaines insomnies, elle avait redouté ce nouvel état à l’égal de la mort. Les autres jeunes femmes ont des obligations mondaines, un ménage, des enfants, des amis, des couturières ; elle ne possédait que son amour. En la quittant, Henri la laissait seule avec ses instincts singuliers de primitive, ses instincts l’attirant en bas comme des racines, lui vrillant le crâne comme des branches à floraisons vénéreuses, et quand elle se respirait au fond