Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/34

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négative de plante d’ornement, il eut le don de servir d’aphrodisiaque. Ils coulèrent dans ce petit moule gracieux toutes les épices mangées, bues ou respirées, tous les bonbons équivoques, toutes les liqueurs sorcières, tous les aromes de décompositions musquées. À l’état latent, ils infusèrent dans ces veines bleues, vertes à force d’être bleues, tous les poisons sensuels avec la science miraculeuse des caresses et avec l’appétit de toutes les amours.

Après la naissance de leur fille, leur cuisine conserva des allures de laboratoire de chimie. Comme ils s’étaient adressés aux magies des aliments excitants pour créer, ils continuèrent le festin pour se donner les forces nécessaires à un élevage consciencieux. Sans cesse, madame Lordès rôdait autour du fourneau, une grande machine de fonte sombre encastrée sous une cheminée monumentale, dans une vaste pièce carrelée de grès verdâtre dont une des portes ouvrait sur la cour. M. Lordès ne dédaignait pas les couvercles des casseroles, et la bonne, une grosse lourde fille de ferme attirée dans la ville par l’attrait des riches mangeailles, aidait, de son mieux, les deux époux, tout en n’oubliant pas de prélever sa dîme. Éternellement allumé, le feu du fourneau sombre cuisait et recuisait les infernaux ragoûts du Midi, que dévorent les gourmets en clignant les yeux et en affectant de dissimuler leurs appétits, comme s’il s’agissait d’une envie de femme enceinte ou d’un acte libidineux. Les plats bordelais relevés de condi-