Page:Rachilde - L’Animale, 1923.djvu/41

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

gymnastique avait une réputation d’indécence si bien établie que personne n’y songeait. Le médecin, appelé, parla de croissance et d’affection nerveuse ; il ordonna un vin ferrugineux dans lequel M. Lordès introduisit, religieusement, une de ses dernières créations, histoire de le parfumer.

Elle respirait, dans la cour où elle allait jouer, un air tiède, aux relents de moisi, que masquaient les senteurs des robustes angéliques. Elle se promenait gravement, réfléchissant à la tristesse d’être isolée, pour s’amuser, se disant qu’elle aurait tendrement aimé un petit frère. À l’étude, il y avait bien un jeune clerc de quinze ans, saute-ruisseau si chétif qu’on l’eût pris pour un gamin ; mais Laure n’en voulait pas approcher, détestant d’instinct les infirmes, car il était borgne et vous examinait de son œil chassieux avec une fixité décourageante. Dans la grande fenêtre verdie donnant sur cette cour, on apercevait, de temps en temps, l’œil de ce clerc comme une tache sanguinolente s’appliquant sur la vitre, et Laure frémissait d’un dégoût qu’elle n’essayait pas de dissimuler. D’ailleurs, ce clerc n’y voyait que pour écrire, prétendait son père ; encore fallait-il qu’il frottât le papier du bout de son nez remarquablement aigu. Elle gagnait le coin sombre où s’épanouissaient les plantes sacrées, elle pénétrait sous leur voûte obscure, s’étendait somnolente à l’ombre de ces branches savoureuses qui l’imprégnaient de leur odeur forte comme l’odeur d’un secret rut de