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dessus des rochers s’élevait la montagne, boisée, toute d’un vert tendre dans les clairs rayons du soleil de mai. Vu du château, cet endroit plus sombre, avait l’aspect d’un fond de décor théâtral. Au centre du terre-plein, se détachant un peu de la colline, l’énorme roche qu’on voulait soulever était couchée sur un lit de gazon. Sournoisement immobile, cette roche portait une tribu de petits lézards d’or qui narguaient les ouvriers en frétillant d’aise d’avoir un printemps si doux et des spectateurs si bénévoles.

L’architecte, un jeune homme très mince, vêtu sobrement, comme un notaire, la tournure gourmée, la bouche dédaigneuse, faisait manœuvrer les six hommes, dont les dos, voûtés tous au même plan, mouillaient de sueur les chemises à carreaux multicolores. Autour d’eux des débris de pierre et des outils jonchaient le sol. On avait ébranlé déjà plusieurs rochers, fouillé le gravier, haché les guirlandes ; l’eau n’avait pas encore paru.

Le hum ! sonore annonçant le général interrompit le travail. Les paysans s’essuyèrent le front et échangèrent un regard d’intelligence qui signifiait : maintenant, nous avons le temps !

Bruno, imitant la roche, se coucha dans l’herbe drue, et comme les lézards, il tendit le cou au soleil. Son masque triste, renfrogné, indiquait qu’il espérait bien ne plus se déranger.

— Vous n’êtes pas forts, dit le général d’un ton net aux paysans, dont les yeux malins avaient des clignements ravis.