Page:Rachilde - Nono, 1885.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
138
nono

ture le ferait supposer, je ne félicite pas son amant. Du reste, c’est une jeune fille, et il faut croire toujours le contraire de ce que l’on voit.

Renée se releva à demi, regarda autour d’elle, sous la frange de ses cils épais.

— Mélibar ? » demanda-t-elle avec une douleur tout impérative.

— Pardon, Mademoiselle, s’agit-il d’un nègre ? En ce cas je ne vous quitte pas. S’il s’agit d’un cheval je n’en ai vu trace nulle part.

Il avait rajusté le corsage, espérant qu’elle s’inquiéterait d’abord de son état. Mais la fille du général se pencha, crispant ses doigts glacés au bras de son sauveur, qui fut obligé, lui aussi, de se tourner du côté de l’étang. Quelque chose de hideux apparaissait lentement au-dessus de l’eau redevenue agitée, quelque chose qui ressemblait plus à un monstre des légendes paysannes qu’à un animal vivant. Une tête, quelle tête ! avec une crinière raidie de limon saumâtre. Aux naseaux pendaient des joncs pourris aspirés dans des fonds inconnus. Des orbites vitreuses suintait une boue infecte et l’étoile scintillant à son front orgueilleux avait fait place à un plâtras d’argile. Le cheval hennit. Sa voix tremblotait comme celle des vieux coursiers fourbus qu’on va abattre… il se haussa, essayant de pointer ses oreilles alourdies par la vase… Il voulait répondre au cri de sa maîtresse, puis son pied, sous l’eau, battit un dernier appel, et il se coucha comme un vaisseau submergé ! Il y eut des ondulations molles desquelles