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nono

Elle eut un accent si détaché de la chose que personne n’osa plus rien prévoir pour le lendemain.

La journée s’écoula mauvaise, alternativement pleine de torpeurs et de disputes. Aux cuisines, Mérence faillit battre la cuisinière. Enfin, le général fit atteler et alla trouver M. le maire de Gana-les-Écluses, auquel il demanda à brûle-pourpoint la permission de détourner un bras de la petite rivière du village pour arroser sa vallée de Tourtoiranne. L’honnête fonctionnaire terrifié lui répondit que cela demanderait au moins six mois de travail et que les besoins du village interdisaient cette prise d’eau faite au bénéfice d’un seul propriétaire, si important qu’il fût.

Le général Fayor se couvrit d’un geste raide !

— Monsieur, vous y mettez de l’entêtement. »

(Il n’y avait qu’un quart d’heure que le maire discutait avec lui.)

— Mais, mon général, on ne peut satisfaire un administré aux dépens de tous les administrés ! »

Cela était logique. Le général s’emporta.

— Un administré ? Je suis militaire et citoyen. Le mot administré n’a rien à voir avec moi, monsieur.

— Mais, monsieur…

— Je suis général ! J’ai soixante-six ans, quarante ans de bons et loyaux services, et je me fiche, comme d’un coup de canon rouillé, de votre administration !

Sur ce, il était sorti, cramoisi de colère, il avait même failli briser sa voiture sur le remblai montant