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la main, prenait un morceau de pain, puis machinalement ses dents le broyaient, et il retombait ensuite dans une immobilité absolue. Un peu de barbe avait poussé, fort brune, autour de ses joues. Les cheveux broussaillaient, incultes, au-dessus de son front ; l’assombrissement du regard semblait avoir épaissi les sourcils et les cils. Son teint se sillonnait de petites veines bleuâtres, à fleur de peau. Le sang paraissait se figer doucement sous les chairs accablées.

Durant cette pesante captivité, ses épaules s’étaient voûtées, un trou s’était creusé à sa poitrine, et, par moment, il entendait bruire comme une cascade au fond de son cerveau. Ce robuste s’idiotisait dans son désespoir.

Il regardait le mur obstruant son avenir, dressé en barrière infranchissable devant lui.

Lorsque l’avocat venait, il écoutait ses exhortations comme on écoute le prêtre d’une religion qui n’est pas la vôtre. Ce jeune homme remuant le peinait, ne parlant que de démolir tous les arguments de l’accusation, de tuer la conviction dans l’esprit des juges, de rompre le tympan de ceux qui niaient l’évidence.

Bruno avait seulement protesté une fois au sujet du meurtre et il était redevenu muet.

Il n’avait pas revu sa mère, mais on lui avait promis que le secret serait levé la veille des assises et qu’elle viendrait causer avec son avocat. Dans Montpellier, on savait que Bruno n’avait pas fait d’aveux. Mme Maldas le savait aussi et pourtant la malheureuse femme n’osait plus sortir de sa maison pen-