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ce qui allait donner trop de spectacles à la fois pour les semaines où l’on s’ennuyait.

La veille du jour solennel, l’avocat exigea que son client bût un verre de rhum après son déjeuner et l’invita vivement à fumer quelques cigarettes.

Bruno refusa. Il demanda un livre, n’importe lequel, désirant s’isoler de la terre entière tant que cet importun serait là.

L’avocat eut une exclamation naïve.

— Mais voyons ! mon ami, seriez-vous innocent par hasard ? fit-il extrêmement surpris du calme de l’accusé.

— Vous en doutiez ?… » répliqua Bruno, non moins naïf. Et sur son bon visage reparut un instant son franc sourire d’autrefois.

Ce ne fut qu’un rayon, car bientôt une larme glissa de sa joue sur la page qu’il lisait.

Le défenseur sortit de la cellule tout songeur. Ses grands gestes s’étaient évanouis ainsi que ses grandes phrases. Un scrupule avait fait place à sa solide assurance.

— Diable ! pensait-il, s’il est innocent, alors je vais le faire condamner ! »

Nono ne toucha pas au rhum. Il se retourna vers la muraille, posa son front contre la pierre glacée, et resta plongé dans d’amères réflexions.

Tout à coup la porte s’ouvrit lentement, le guichetier annonça avec respect :

— Maldas, voici M. le duc de Pluncey qui vient vous voir !… »