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que je vous cause, et, je vous en prie, ne faites aucun scandale. Si on venait à savoir que vous m’avez embrassée !… Il serait capable de me tuer, car il a l’air de m’aimer beaucoup. Adieu, oubliez-moi.

» Amélie Névasson. »

C’était la dixième fois que Bruno faisait la lecture de cette lettre. Il avait fini par la lire tout haut pour se persuader que ses pauvres yeux, obscurcis de pleurs, ne le trompaient pas. Il attendait depuis une semaine des nouvelles de Lilie…, consolantes, très consolantes… Et il se fourrait les poings dans les joues pour jeter, contre la douleur morale une douleur physique. C’était, dans sa poitrine, comme un ongle venimeux qui le fouillait. Bien qu’il ne fût pas dévot, il avait crié Sainte Vierge ! dès les lignes du début. Puis, du jardin, il avait couru, comme un homme poursuivi, jusqu’à sa chambre des combles. Assis sur son lit de fer, il lut et relut… et se renversa, tout d’une pièce, en arrière, mordant les draps à pleine bouche pour ne pas être entendu. Et vraiment c’était singulier de voir ce vigoureux corps de garçon se tordre dans ce faible chagrin d’enfant. Personne ne le savait, mais il était épris à un point terrible. Bruno Maldas aimait Amélie Névasson. De là, Nono et Lilie. Tout un roman. Cet amour était venu d’une façon bizarre, caractéristique, magistrale, et surtout de trop bonne heure comme les amours qui doivent mal finir. Il y avait tantôt trois ou quatre ans, au lycée de Montpellier durant une distribution de prix (Bruno finissait sa Rhétorique), un professeur malicieux, dé-