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Pourvu que, de ma mort respectant les approches,
Tu ne m’affliges plus par d’injustes reproches,
Et que tes vains secours cessent de rappeler
Un reste de chaleur tout prêt à s’exhaler.


Scène IV.

Phèdre, Œnone, Panope.
PANOPE.

Je voudrais vous cacher une triste nouvelle,
Madame : mais il faut que je vous la révèle.
La mort vous a ravi votre invincible époux ;
Et ce malheur n’est plus ignoré que de vous.

ŒNONE.

Panope, que dis-tu ?

PANOPE.

Panope, que dis-tu ? Que la reine abusée
En vain demande au ciel le retour de Thésée ;
Et que, par des vaisseaux arrivés dans le port,
Hippolyte son fils vient d’apprendre sa mort.

PHÈDRE.

Ciel !

PANOPE.

Ciel ! Pour le choix d’un maître Athènes se partage :
Au prince votre fils l’un donne son suffrage,
Madame ; et de l’État, l’autre oubliant les lois
Au fils de l’étrangère ose donner sa voix.
On dit même qu’au trône une brigue insolente
Veut placer Aricie et le sang de Pallante.
J’ai cru de ce péril vous devoir avertir.
Déjà même Hippolyte est tout prêt à partir ;
Et l’on craint, s’il paraît dans ce nouvel orage,
Qu’il n’entraîne après lui tout un peuple volage.

ŒNONE.

Panope, c’est assez : la reine qui t’entend
Ne négligera point cet avis important.


Scène V.

Phèdre, Œnone.
ŒNONE.

Madame, je cessais de vous presser de vivre ;
Déjà même au tombeau je songeais à vous suivre ;
Pour vous en détourner je n’avais plus de voix :
Mais ce nouveau malheur vous prescrit d’autres lois.
Votre fortune change et prend une autre face :
Le roi n’est plus, madame ; il faut prendre sa place.
Sa mort vous laisse un fils à qui vous vous devez ;
Esclave s’il vous perd, et roi si vous vivez.
Sur qui, dans son malheur, voulez-vous qu’il s’appuie ?
Ses larmes n’auront plus de main qui les essuie ;
Et ses cris innocents, portés jusques aux dieux,
Iront contre sa mère irriter ses aïeux.
Vivez ; vous n’avez plus de reproche à vous faire :
Votre flamme devient une flamme ordinaire ;
Thésée en expirant vient de rompre les nœuds
Qui faisaient tout le crime et l’horreur de vos feux.
Hippolyte pour vous devient moins redoutable ;
Et vous pouvez le voir sans vous rendre coupable.
Peut-être, convaincu de votre aversion,
Il va donner un chef à la sédition :
Détrompez son erreur, fléchissez son courage.
Roi de ces bords heureux, Trézène est son partage ;
Mais il sait que les lois donnent à votre fils
Les superbes remparts que Minerve a bâtis.
Vous avez l’un et l’autre une juste ennemie :
Unissez-vous tous deux pour combattre Aricie.

PHÈDRE.

Eh bien ! à tes conseils je me laisse entraîner.
Vivons, si vers la vie on peut me ramener,
Et si l’amour d’un fils, en ce moment funeste,
De mes faibles esprits peut ranimer le reste.




ACTE second.





Scène première.

Aricie, Ismène.
ARICIE.

Hippolyte demande à me voir en ce lieu ?
Hippolyte me cherche, et veut me dire adieu ?
Ismène, dis-tu vrai ? N’es-tu point abusée ?

ISMÈNE.

C’est le premier effet de la mort de Thésée.
Préparez-vous, madame, à voir de tous côtés
Voler vers vous les cœurs par Thésée écartés.
Aricie, à la fin, de son sort est maîtresse,
Et bientôt à ses pieds verra toute la Grèce.

ARICIE.

Ce n’est donc point, Ismène, un bruit mal affermi ?
Je cesse d’être esclave, et n’ai plus d’ennemi ?

ISMÈNE.

Non, madame, les dieux ne vous sont plus contraires ;
Et Thésée a rejoint les mânes de vos frères.

ARICIE.

Dit-on quelle aventure a terminé ses jours ?

ISMÈNE.

On sème de sa mort d’incroyables discours.
On dit que, ravisseur d’une amante nouvelle,
Les flots ont englouti cet époux infidèle.
On dit même, et ce bruit est partout répandu,
Qu’avec Pirithoüs aux enfers descendu,
Il a vu le Cocyte et les rivages sombres,