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TRAGEDIE

Puis qu’apres tant d’efforts ma reſiſtance eſt vaine,
Ie me liure en aueugle au tranſport qui m’entraîne,
I’aime, ie viens chercher Hermionne en ces lieux,
La fléchir, l’enleuer, ou mourir à ſes yeux.
Toy qui connois Pyrrhus, que penſes-tu qu’il faſſe ?
Dans ſa Cour, dans ſon Cœur, dy-moy ce qui ſe paſſe.
Mon Hermionne encor le tient-elle aſſeruy ?
Me rendra-t-il, Pylade, vn Cœur qu’il m’a rauy ?

PYLADE.

Ie vous abuſerois ſi i’oſois vous promettre
Qu’entre vos mains, Seigneur, il voulut la remettre.
Non, que de ſa Conqueſte il paroiſſe flaté.
Pour la Veuue d’Hector ſes feux ont éclaté.
Il l’aime. Mais enfin cette Veuue inhumaine
N’a payé jusqu’icy ſon amour que de haine,
Et chaque jour encore on luy voit tout tenter
Pour fléchir ſa Captive, ou pour l’épouuanter.
Il luy cache ſon Fils, il menaſſe ſa teſte,
Et fait couler des pleurs, qu’auſſi-toſt il arreſte.
Hermionne elle-meſme a veu plus de cent fois
Cet Amant irrité reuenir ſous ſes loix,
Et de ſes vœux troublez luy rapportant l’hommage,
Soûpirer à ſes pieds moins d’amour, que de rage.
Ainſi n’attendez pas, que l’on puiſſe aujourd’huy
Vous répondre d’vn Cœur, ſi peu maiſtre de luy.
Il peut, Seigneur, il peut dans ce deſordre extrême,
Épouſer ce qu’il hait, & perdre ce qu’il aime.

ORESTE.

Mais dy-moy, de quel œil Hermionne peut voir
Ses attraits oſſenſez, & ſes yeux ſans pouuoir