Page:Rambert - Études littéraires, t1, 1890.djvu/312

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce Dieu de guinguette et de gens attablés, à qui l’on frappe sur l’épaule, qu’on traite en camarade, en bon vivant, m’irrite comme une usurpation de titre de noblesse. Non, ils ne peuvent te connaître, être saint que l’on n’entrevit jamais que dans la sérénité d’un cœur pur. Tu n’appartiens qu’à nous qui savons te chercher. Les blasphèmes de l’homme de génie doivent plus te plaire que le vulgaire hommage de la gaieté satisfaite. L’athée est bien plutôt celui qui te méconnaît à ce point que celui qui te nie. Le désespoir de Lucrèce et de Byron fut plus selon ton cœur que cette confiance effrontée de l’optimisme superficiel qui t’insulte en te bénissant.

L’histoire notera comme un des traits les plus curieux de notre vie morale actuelle que récrivain de ce siècle qui a le plus énergiquement protesté contre le Dieu des bonnes gens, qui a repoussé le plus loin de lui la honte de ce culte trop populaire, est celui-là même qui a écrit la Vie de Jésus, La France, que je sache, ne manque pas absolument de moralistes croyants, de critiques sincèrement chrétiens ; les strophes du chansonnier les ont, sans doute, affligés et scandalisés ; mais ils ont laissé au plus fameux des hérétiques modernes l’honneur de la flétrissure imprimée souverainement sur le front de ce Dieu de guinguette. M. Renan passera aux yeux de la postérité pour le vengeur de la religion outragée par le poëte le plus national de la France


Ainsi à tous égards le contraste semble frappant