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LA VIE & LA MORT

RÊVE

I

 
Je sens avec effroi comme un grand astre chaud,
Un astre qui m’aborde, un astre qui m’embrasse.
Et sous lui je me vois devenir large et haut ;
Et j’enfle comme un fruit que le soleil harasse.

Je sens avec ivresse, en un vaste frisson,
Que j’acquiers lentement des ampleurs inconnues ;
Et que mon bras énorme enserre l’horizon ;
Et que mon front vainqueur rayonne dans les nues.

Je sens avec orgueil que mon corps véhément
Absorbe d’autres corps en sa géante enflure ;
Que la terre devient ma chair, et vaguement,
Que la flore des monts devient ma chevelure !

Et que je m’assimile, en passant, des rochers ;
Et que mon cœur s’adjoint pour veines les rivières ;
Et que, plaine infinie où pointent des clochers,
Ma chair ivre d’azur se fleurit de bruyères