Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/185

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Parle, Maculonus te prête sa maison,
Maison toute de fer, dont on prendrait la porte
Pour celle d’une ville ou d’une place forte.
A venir t’applaudir ses clients empressés,
Ses esclaves nombreux, aux derniers rangs placés,
De tes vers accueillis par un bruyant murmure,
Du geste et de la voix soutiendront la lecture ;
Mais les planches, les bancs, les fauteuils à loyer,
Nul Mécène pour toi ne voudra les payer.
Nous persistons pourtant, et d’un soc inutile,
Ne cessons de creuser un rivage stérile.
Des filets dont la gloire a su nous enlacer,
En vain nous essayons de nous débarrasser :
L’habitude l’emporte, et rien ne peut détruire
Ce mal ambitieux, cette rage d’écrire,
Qui, chez le plus grand nombre augmentant par degré,
S’envenime et vieillit dans un cœur ulcéré.


Mais aussi, que faut-il pour former un poète
Qui dédaigne la voie où la foule se jette ?
Qui, laissant tout sujet commun et trivial,
Frappe au coin du génie un vers original ?
Un poète, en un mot, tel que dans ma pensée,
S’il n’en existe pas, l’image en est tracée ?
C’est un esprit exempt de tout pénible soin,
Ne formant nul désir, n’éprouvant nul besoin,
Ne cherchant que les bois, les eaux et l’harmonie,
Et digue de puiser aux sources d’Aonie.
La froide pauvreté, triste, mourant de faim,
N’a jamais, la cithare ou le thyrse à la main,
D’un génie inspiré senti l’heureux délire.
Horace a bien dîné quand il monte sa lyre.
Que peut en son essor un poète arrêté,
Si du dieu seul des vers son cœur n’est tourmenté ?
Si, laissant d’autres soins se partager son âme,
D’accord avec Bacchus, Apollon ne l’enflamme ;