Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/239

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Le plus puissant de tous, c’est l’heureux avantage
De pouvoir sans contrainte, à toute heure, en tous lieux,
Mépriser de ses gens et la langue et les yeux.
La langue d’un esclave est ce qu’il a de pire ;
Mais il n’est rien d’égal au dédain que m’inspire,
Le mettre qui dépend de ceux qu’à son foyer,
Il veut bien à ses frais et nourrir et payer.
— Oui, l’on doit mépriser cette engeance servile,
Et c’est pour tout le monde un avis fort utile ;
Mais à moi maintenant, que me conseilles-tu,
A moi, par les chagrins, par les ans abattu ?
Car enfin nos beaux jours, cette fleur passagère,
Si faible portion d’une vie éphémère,
Emportés par le temps, d’un vol inaperçu,
Comme un rêve léger, passent à notre insu,
Et parmi les parfums, les femmes et l’ivresse,
Sans bruit, à pas furtifs, se glisse la vieillesse.

— Ne crains rien, Névolus, tant que dans sa splendeur,
De la ville aux sept monts brillera la grandeur,
En amis patients elle sera féconde ;
Toujours dans les remparts de la reine du monde,
Et par terre et par mer, avec empressement,
Viendront ces étrangers qu’on voit languissament,
Au signe accoutumé provoquant leur conquête,
S’effleurer d’un seul doigt et se gratter la tête.
Un jour nous t’y verrons heureux et triomphant ;
Mais souviens-toi de suivre un régime échauffant.

— Aux fils de la Fortune adresse ta recette.
Tant d’espoir convient mal à ma triste planète.
Trop heureux si les sœurs, qui filent mes destins,
Me donnent de quoi vivre aux dépens de mes reins !
Vous dont jamais l’autel n’a reçu pour offrandes,
Que des gâteaux, du sel et de simples guirlandes,
Dieux pauvres, dieux obscurs de mon humble réduit,
De mes travaux enfin quand verrai-je le fruit ?