Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/55

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Ni ta lance frapper cette exécrable terre,
Ni ton bras invoquer les foudres de ton père !
Va, fuis loin de ce champ qui te fut consacré
Et qui perdit l’amour qu’il t’avait inspiré.
— Demain, aux premiers feux de l’aurore nouvelle,
Sur le mont Quirinal une affaire m’appelle.
— Une affaire ! quoi donc ? — Comment l’ignorez-vous ?
Devant quelques amis, Barrus prend un époux.
Je suis un des témoins. —Vivons, vivons encore,
Et bientôt ces hymens que la nature abhorre,
À la face des dieux, par les lois consacrés,
Dans les actes publics seront enregistrés !
Les monstres toutefois éprouvent un supplice.
En vain, de leur fureur rendant le ciel complice,
Ces épouses voudraient, par des gages chéris,
Dans ces nœuds criminels retenir leurs maris :
Le ciel n’obéit point à leurs vœux sacrilèges.
Ni l’épaisse Lydé, par ses noirs sortilèges,
Ni l’agile Luperque en frappant dans leur main,
Ne saurait féconder leur détestable hymen.

Mais un autre Gracchus, descendu dans l’arène,
N’a-t-il point, au mépris de la grandeur romaine,
Naguère surpassé ces prostitutions,
Quand, le trident en main, parmi des histrions,
Rome entière l’a vu, précipitant sa fuite,
De l’adroit Mirmillon éviter la poursuite,
Lui qui des plus puissants de nos patriciens,
Et des Fabricius et des Émiliens,
Et même de celui qui payait sa bassesse,
Ainsi que l’opulence, éclipsait la noblesse ?
Qu’il existe un Cocyte, un royaume des morts ;
Que d’immondes crapauds croassent sur ses bords ;
Que, pour en traverser les flots bourbeux et sombres,
Une barque suffise à tant de milliers d’ombres,
C’est ce qu’un enfant même aujourd’hui ne croit pas ;