Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/81

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De fatigue épuisé, je m’assoupis enfin,
Que vingt chars accrochés s’arrêtent à ma porte :
Aux cris des muletiers que la fureur transporte,
Aux clameurs dont je sens tout mon grabat trembler,
Les phoques et Drusus cesseraient de ronfler.
Qu’un riche ait à sortir : soudain sa chaise est prête :
Il part : la foule cède, et sans que rien l’arrête,
Par six liburniens rapidement porté,
Sur les têtes du peuple il court en sûreté.
Chemin faisant, il lit, il écrit, ou repose.
Rien n’invite au sommeil comme une chaise close.
Cependant il achève un voyage si doux,
Et, sens même y songer, il arrive avant nous.
Mais moi, quand je me hâte, une foule grossière
M’arrête par devant, me presse par derrière :
L’un, pour me devancer, me coudoie en passant ;
L’autre, du choc d’un ais, me laisse tout en sang ;
Ici l’on me renverse : ailleurs on m’éclabousse ;
Et tandis qu’en jurant je m’esquive et me pousse,
Mes pieds par des brutaux meurtris à chaque pas,
Rapportent au logis les clous de nos soldats.



Regardez ces clients que, sous le vestibule,
Conduit vers le patron l’odeur de la sportule :
J’en compte plus de cent, et, dès qu’il est servi,
Chacun de son dîner se retire suivi.
Que de mets ! Corbulon ploierait sous cette pile
Qu’emporte, sans broncher, sur sa tête immobile,
Ce petit malheureux suant, mourant de chaud,
Qui rallume en courant le feu de son réchaud,
Et dont, à chaque pas, sur la place publique,
La foule par lambeaux arrache la tunique.
Comment parviendra-t-il ? là, barrant le chemin,
S’avance lentement un immense sapin :
Plus loin, un chariot, d’une poutre branlante
Trahie péniblement la longueur vacillante :