Page:Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.djvu/10

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monarchie, le scandale des palais insulte à la misère des cabanes, & comme il y a des gens qui ont trop, nécessairement d’autres ont trop peu. Le luxe & l’orgueil de tyranneaux prêtres, nobles, financiers, gens du barreau & autres enlevoient une foule d’individus à l’agriculture & aux arts.

De là cette multitude de femmes-de-chambre, de valets-de-chambre, de laquais, qui reportoient ensuite dans leurs hameaux des manières moins gauches, un langage moins rustre, mais une dépravation contagieuse qui gangrenoit les villages. De tous les individus qui après avoir habité les villes, retournoient sous le toit paternel, il n’y avait guères de bons que les vieux soldats.

Le régime républicain a opéré la suppression de toutes les castes parasites, le rapprochement des fortunes, le nivellement des conditions. Dans la crainte d’une dégénération morale, des familles nombreuses d’estimables campagnards avoient pour maxime de n’épouser que dans leur parenté. Cet isolement n’aura plus lieu, parce qu’il n’y a plus en France qu’une seule famille. Ainsi la forme nouvelle de notre gouvernement & l’austérité de nos principes repoussent toute parité entre l’ancien & le nouvel état des choses. La population refluera dans les campagnes, & les grandes communes ne seront plus des foyers putrides, d’où sans cesse la fainéantise & l’opulence exhaloient le crime. C’est là sur-tout que les ressorts moraux doivent avoir plus d’élasticité. Des mœurs ! sans elles point de République, & sans République point de mœurs.

Tout ce qu’on vient de dire appelle la conclusion que, pour extirper tous les préjugés, développer toutes les vérités, tous les talens, toutes les vertus, fondre tous les citoyens dans la masse nationale, simplifier le mécanisme & faciliter le jeu de la machine politique, il faut identité de langage. Le temps amènera sans doute d’autres réformes nécessaires dans le costume, les manières & les usages. Je ne citerai que celui d’ôter le chapeau pour saluer, qui devroit être remplacé par une forme moins gênante & plus expressive.

En avouant l’utilité d’anéantir les patois, quelques personnes en contestent la possibilité : elles se fondent sur la ténacité du peuple dans ses usages. On m’allègue les Morlaques qui ne mangeoient pas de veau il y a 14 siècles, & qui sont restés fidèles à cette abstinence ; les Grecs, chez qui, selon Guys, se conserve avec éclat la danse décrite, il y a trois mille ans, par Homère dans son bouclier d’Achille.

On cite Tournefort, au rapport duquel les Juifs de Pruse en Natolie, descendans de ceux qui depuis long-temps avoient été chassés d’Espagne, parloient espagnol comme à Madrid. On cite les protestans réfugiés à la révocation de l’édit de Nantes, dont la