Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
151
TROIS PARMI LES AUTRES

avait pensé, dix jours auparavant : « Il a une tête intéressante, mais il n’est pas sympathique. »

Aujourd’hui il était beaucoup plus sympathique. Il s’occupait d’elle, exprimait le plaisir que lui causait sa présence par ce langage muet des yeux, du sourire et des gestes que Suzon déchiffrait d’instinct, en prêtant toujours à son partenaire la capacité d’admiration qu’elle possédait à l’égard d’elle-même. Ces interprétations non contrôlables la satisfaisaient pleinement.

Bertrand, au volant, chantonnait en menant la voiture à toute vitesse. Il conduisait admirablement bien et Suzon subissait inconsciemment l’attrait amoureux qui émane de toute perfection. Elle se disait : « Il chante parce qu’il est content que je sois là… » tout en contemplant sa nuque jeune qui émergeait d’un col de toile bleue et ses cheveux rebroussés par le vent.

Assis à côté de son frère, André se retournait à chaque instant, posait sur la jeune fille le regard de ses yeux lourds aux cils d’almée et s’oubliait à la considérer avec son air de bélier confus et passionné.

L’auto suivait en sens inverse la route que les trois jeunes filles avaient prise le soir de leur arrivée. Sous le ciel d’août, le paysage paraissait encore plus morne avec ses prés saupoudrés de poussière entre des haies d’épine sèche. Çà et là, des coteaux de terre rougeâtre, que les cailloux parsemaient comme des ossements. La colline qui fermait l’horizon portait le poids d’une désolation historique sur son épaule plus pelée qu’une montagne lunaire : c’était là que la Gaule, autrefois, avait été vaincue par Rome.