Page:Ravaisson - La Philosophie en France au XIXe siècle, 1895.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
LA PHILOSOPHIE EN FRANCE

ce que sont en nous les fins que nous nous proposons, et auxquelles servent toutes nos puissances.

Dans le vivant donc se manifeste une cause générale déterminant une multitude d’effets ; le vivant se montre à l’observation même la plus superficielle comme quelque chose qui, semblable en cela à ce qui pense, donne existence et forme, par ce qu’il a d’unité active, à ce qu’il renferme de multiple et de passif.

En présence de la vie, la théorie du matérialisme devient évidemment insuffisante.

Lorsque Berkeley, qui, dans ses premiers ouvrages, ne s’était guère occupé que des phénomènes mécaniques, en vint, dans son profond et ingénieux Siris à considérer de près ceux de la végétation et, en général, de la vie, il comprit mieux ce caractère général de la nature, que les choses s’y enchaînent les unes aux autres suivant des progressions harmoniques ; et de là surtout ce titre même de Siris, série ou chaîne. De la sorte, dans la dernière partie de sa carrière, il passait de sa première théorie de l’univers envisagé comme un amas de faits détachés, sous la puissance arbitraire de Dieu, à la notion d’une chaîne universelle de formes de plus en plus parfaites, suspendue à l’absolu bien.

Auguste Comte aussi, dans la seconde période de sa philosophie, où, approchant de ce qui en avait toujours été le but, c’est-à-dire le monde social, il arriva aux êtres organisés, passa d’une première théorie du monde, compris comme un simple amas de faits plus ou moins compliqués, sans le régulateur suprême de Berkeley, à une théorie toute différente d’ordre progressif et d’universelle harmonie. Il comprit, en présence de la vie, que ce n’était pas assez, comme il avait pu le croire dans la sphère des choses mécaniques et physiques, de considérer des phénomènes à la suite ou à côté les uns des autres, mais que, de plus, que surtout il fallait prendre en considération l’ordre et l’ensemble.