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JEAN MORÉAS


Et Moréas s’inquiétait de retrouver chez lui, par endroits, trace de ces mauvais modèles. C’est dans ce sens qu’il se flattait de le corriger, en usant d’un doigté plus ferme et d’un clavier plus sûr.

A ce point de vue, il nous donne avec les Stances une admirable leçon de style. Rien n’y est laissé à l’improvisation. Il y atteint à cette souveraine simplicité des Maîtres, à cette « perfection celée » à laquelle il s’acheminait d’instinct à travers ses livres antérieurs. Il s’y est dépouillé de tout le bric-à-brac romantique et symboliste. Il y tire ses meilleurs effets de la sobriété et de la concision.

Le miracle, c’est que sa strophe, si solidement construite, aux angles si nets, dégage une telle vertu de suggestion et s’enveloppe d’une telle atmosphère de grâce rêveuse. Elle a ce velouté que l’on ne tire que des plus intimes profondeurs de soi-même. On y éprouve que, par la place qu’il leur assigne, le poète prête un sens neuf aux mots les plus usagers.

Mais les Stances constituent aussi une admirable leçon de sagesse. Moréas s’était fait une haute idée du poète. Un souci de dignité ne lui eût jamais permis d’écrire, comme Lamartine : « La pitié t’abandonne ». Il n’a que faire d’un tel sentiment. Il lui suffit d’être lui-même :

En dépit de mes maux, de la nuit de mon âme,
Je me sens plus vivant
Que ne le fut jamais sur le brasier la flamme,
Quand l’exalte un bon vent.

Misérable démon qui t’attaches à nuire,
Pauvre facétieux,