Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/133

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chose de fabuleux. Dans toutes mes promenades autour de Riohacha, qui est pourtant une ville de 5 000 habitants, je n’ai vu qu’un seul lopin de terre cultivé (et comment ?) Nulle part le terrain ne s’adapte mieux à la culture du cocotier : aussi, en regardant bien, j’en ai compté jusqu’à trois. Il suffirait de quelques capitaux pour réaliser des sommes fabuleuses : tout ce que l’on mange à Riohacha vient d’ailleurs, de dix, vingt, trente ou même cinquante lieues. Les noix de coco viennent de Carthagène, où on les paie exactement dix fois moins qu’on ne le fait ici. Un Français a ramassé une trentaine de mille francs en cultivant des radis qu’il vendait un sou pièce. Le jardinage rapporte encore bien plus, si on le compare aux cultures industrielles : le consul français vient de faire semer cinq cent mille pieds de sésame sur un espace de dix hectares. Maintenant, il se croise les bras et il attend qu’au bout de six mois les sillons veuillent bien lui faire gagner 13 000 livres. Ainsi un hectare, qui coûte la somme de quinze sous et qu’on peut même se dispenser d’acheter, peut rapporter plus de 1 000 livres par an. Que ne sommes-nous des Pierre Bessouat ! [1] Mon plan est tout tracé : finir de donner mon mois de leçons qui ne servira qu’à creuser le fond de ma bourse, déjà singulièrement légère, puis je vais à Valle Dupar, travailler chez un Français, brave homme, pour apprendre l’agriculture de ce pays, j’emploie mes économies à acheter des kilomètres carrés, et puis je fais des arachides, etc., pour le compte de la République universelle. Si je suis seul, eh bien ! j’oublierai tout ce que j’ai tenté d’apprendre jusqu’à aujourd’hui et peut-être ma langue. Il me suffira d’avoir

  1. Paysan de Castetarbes.