Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/137

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ci-devant de Monlieu ; c’est un excellent homme, un peu grondeur, très intelligent, et, depuis plus de trois mois que je le connais, je vis avec lui en parfaite harmonie de sentiments. J’apprends, en attendant, l’art de la menuiserie et, soit bonté d’âme, soit amour de la vérité, il veut bien louer mes mortaises et mes coups de rabot. Il est évident que M. Chassaigne sera beaucoup plus utile que moi dans l’association que nous allons former, mais ce serait aussi trop d’orgueil de ma part de vouloir être le premier en tout. Je puis bien me résigner pour cette fois, à être l’obligé ; d’ailleurs, je suis jeune encore et je me promets d’abattre plus d’un arbre à moi tout seul.

Ainsi, chère mère, dans quelques jours, j’étendrai ma natte a l’ombre d’un ciner ou d’un fromager, et j’aiderai à monter sur quatre pieux un misérable toit de latanier, pour nous mettre tant bien que mal à l’abri de la pluie. Si votre souvenir ne faisait ma peine, qu’il me serait doux d’aller m’établir ainsi dans la forêt vierge, près d’une cascade, en vue de la mer et de ses blancs navires, en vue des neiges roses qui nous regardent d’une hauteur de six mille mètres ! Mais tant que je n’aurai pas reçu de tes nouvelles, je me sentirai seul ! Écris-moi donc pour que je puisse remplir de toi la forêt et les montagnes. Tous les quinze jours, je descendrai à Riohacha pour savoir si ta lettre est arrivée. Mon adresse est tout simplement Riohacha Nouvelle Grenade, car ici il n’y a pas de distribution de lettres, et chacun est obligé d’aller les chercher.

Que te dirai-je de plus, chère mère ? Te parlerai-je de moi. Tu le sais, je suis triste. L’histoire naturelle de ce pays ? Il faudrait un livre. La politique ? Je suis socialiste ici comme ailleurs. Aujourd’hui même, on vote