Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/158

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vant le vixi suprême. Malgré tout, je n’ai pas perdu de vue un petit point lumineux qui m’annonçait un avenir et de longs jours, et mon bon courage, aidé d’un brave mulâtre de Curaçao qui se débattait pour me sauver la vie, m’ont enfin tiré d’affaire. Puis sont venues les rechutes, inévitables dans un village où il n’y a que des bananes à manger et quelquefois du chocolat à boire. Enfin, j’ai pu enfourcher une mule pour aller à la montagne où j’espérais que l’air pur et fort me rétablirait en quelques jours ; mais la mule était malade. À moitié chemin elle s’abat et manque me jeter du haut en bas d’un précipice. Il faut bien alors que j’essaie de continuer la route à pied, mais bientôt les forces me manquent, je m’évanouis de fatigue, et mon compagnon n’a plus qu’à m’abandonner sous un mauvais toit de feuilles, sans vivres, mais avec les maringoins, la fièvre et la pluie. Après deux jours arrive une mule, et trois heures de cavalcade à travers une pluie battante me permettent enfin de venir cuver ma fièvre dans une hutte de San Antonio.

Vous pensez bien qu’il m’est parfaitement égal d’avoir été malade ou de ne pas l’avoir été et, au fond, je ne suis pas fâché que le fatum m’ait condamné à étudier pratiquement la médecine et l’hygiène pendant deux mois. Mais à vrai dire, quand je pense à vous, ces maladies me font réfléchir. Vous n’êtes probablement pas d’une constitution plus robuste que la mienne et, s’il vous arrivait comme à moi d’être attaqués pendant les trois premières années d’acclimatation de deux maladies dangereuses, l’un de vous pourrait bien succomber. Autrefois, j’étais superstitieux et je me figurais que mes amis étaient invulnérables comme moi, mais, depuis la mort de Mannering et celle