Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/176

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puisque, déjà, j’ai tenté à plusieurs reprises de faire de l’agriculture d’une manière sérieuse, rien ne pourrait me sourire davantage que de réaliser le projet de toute ma vie. Mais (il y a des mais), serais-je parfaitement libre de cultiver la terre uniquement comme je l’entendrais, et qui me prêterait des capitaux pour faire des expériences que mon oncle et ma grand’mère appelleraient certainement des folies ? Le travail et l’industrie ne sont rien sans la liberté, et je comprends tout le premier que mon oncle y regarderait à deux fois avant de me laisser employer son capital d’une manière qui lui semblerait contraire à ses intérêts et aux miens. Voilà ce qui arriverait certainement, chère mère, et plutôt que de devenir simple métayer, et non pas cultivateur indépendant, je préfère ajourner la réalisation de mon rêve. Il est encore autre chose : mon vœu, et mon vœu le plus ardent, a toujours été de vivre avec Élie, c’est surtout pour nous y préparer l’aisance et la liberté que j’étais parti pour l’Amérique et, quand j’ai reconnu l’impossibilité de trouver cette retraite à cause du climat, du manque de ressources et des maladies, je suis revenu. Maintenant que je suis avec mon frère, il me serait amèrement douloureux de ne pas rester avec lui ; il est devenu comme une partie de ma vie, et jamais je ne tenterai d’entreprise si la figure de mon frère ne se dessine au premier plan.

« Je m’étonne que la fin de ma dernière lettre t’ait surprise. Il est vrai : j’aime peu le métier de professeur quand il s’agit d’enseigner des alphabets absurdes et des jargons contre lesquels se révolte mon sens intellectuel, mais je suis heureux quand je parle de géologie, d’histoire, de sciences véritablement utiles ; l’idée que peut-être je pourrais devenir professeur de géographie,