Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pagnie. Le pauvre diable avait la nostalgie, aidée d’un violent mal d’estomac, aussi son voyage a-t-il été presque triste. Le souvenir du foyer l’empêchait de jouir de la beauté des montagnes, et les plus admirables spectacles, le puissant Canigou, les vagues paisibles de la Méditerranée, le ciel profond du midi ne servaient qu’à augmenter sa mélancolie. Avant de nous quitter, nous nous sommes baignés dans l’anse de Banyuls à l’heure même peut-être où vous nagiez dans celle de Saint-Jean de Luz, et nous nous sommes dit adieu avec émotion, lui revenant vers le foyer sacré, moi allant encore demander l’hospitalité sous des sites étrangers.

La tristesse de Goy ne m’a pas gagné plus que sa maladie, et, cependant, il me tarde de revoir des visages amis : ainsi toi, mon frère en la foi, bien que mon frère en la chair, toi ma Noémi chérie, plus que ma sœur, et le cher petit peureux qui tremble devant les vagues et le marmot[1] qui sourit dans les bras de sa mère. Quant au désir profond qui me ramène vers Clarisse et Magali[2], je n’en dis rien : c’est inutile.

En France, on me prenait tantôt pour un facteur de la poste aux lettres, tantôt pour un marchand de thériaque ou d’orviétan, tantôt pour un employé des télégraphes ; à Prades on a même été assez aimable pour affirmer que j’étais le jeune premier du théâtre de Perpignan. Ici les parements rouges de ma blouse me font prendre pour un déserteur ; aussi les paysans m’accueillent-ils avec sympathie ; mais avant-hier un poste tout entier avait quitté le fort de Bellegarde avec

  1. Paul et André, fils d’Élie.
  2. Magali, fille ainée d’Élisée.