Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/34

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s’éteint point, le Dieu qui reste immuable au milieu de l’espace et du temps.

Aussi j’accepte avec joie ce séjour d’une année dans une ville assez ennuyeuse, au milieu de gens moins sympathiques que je ne l’avais cru d’abord. Trois mois sont déjà passés, rapides pour nous tous, trois mois qui nous ont rapprochés de ce ciel infini, si grand, et si beau que notre cœur se serre d’attente et qu’on frissonne de bonheur. Ces trois mois ont perdu leur ennui puisqu’ils ne sont plus, mais ils ont laissé avec nous leurs joies, leur amour, leur expérience ; même le mal qu’ils nous ont apporté se transforme par le souvenir ; tout est bien dans le passé quand ce passé n’est plus que le parvis de l’avenir ; toute route rocailleuse est douce quand au bout on aperçoit les vagues sauvages de la mer ou l’éther bleu des Pyrénées.

Ainsi, chère mère, réjouis-toi avec ton fils, bien que, si la boîte de Pandore m’était ouverte, je choisirais, pour beaucoup de choses, plus que l’espérance, c’est-à-dire la réalité même. Peu importe après tout, car pour vivre et pour se développer, on n’a pas besoin de s’appuyer sur une amitié de tous les jours, on n’a pas besoin d’une espèce de camaraderie de lit avec ceux qu’on aime ; il suffit pour la conscience d’aimer, et, pour le bonheur, de posséder un de ces puissants amours qui ne reculent ni devant le temps ni devant l’espace. Je suis donc bien heureux, car je vous aime devant Dieu, et je sais que vous m’aimez encore bien plus que je ne vous aime.

Je n’ai pas besoin de vous expliquer plus au long ma situation, vous la connaissez aussi bien que moi, mieux même, direz-vous, parce que vous la considérez avec des yeux différents des miens ; je vis ici comme