Page:Reclus - Correspondance, tome 1.djvu/99

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pas, il n’y a qu’un instant. Dans cette époque de reconstruction sociale où nous sommes, il faut que la nature humaine soit explorée jusque dans ses bas fonds, et c’est ce que les Américains se chargent de faire pour certains vices avec un bonheur rare ; ils explorent le mensonge et l’impudence avec une indomptable énergie, ils transportent les montagnes à force de menteries, car, aujourd’hui que la foi est ébranlée, c’est à l’hypocrisie d’accomplir des miracles. C’est merveille que de les entendre. Tous les Yankees sont des apôtres de la civilisation. Un ange de paix est enfermé dans chaque balle de coton ; une douce parole d’évangile est gravée sur chaque lame de bowie-knife, le goddam qu’ils ont sans cesse à la bouche, c’est le shibboleth des nations. Société, indépendance, civilisation, liberté, ne sont que des mots, mais, après tout, les mots ont une certaine valeur. Livré à lui seul, l’enfant, ainsi que tu me l’as fait toi-même observer, commence par les idées les plus vraies, et les plus philosophiques, il dessine d’abord le tronc, puis les branches, puis les feuilles ; mais l’homme qui instruit l’enfant commence par l’autre extrême, il s’attache à la forme, à l’apparence extérieure et se dirige du dehors au dedans ; il enseigne les noms et n’oublie que les choses, tandis que la nature enseigne les choses et n’oublie que les noms ; ainsi les deux éducations se complètent et se pénètrent. L’éducation des Américains ressemble à celle que nous donnent les pédants de chez nous, ils savent le nom des choses ; ils parlent du fait brutal à la terre entière et, plus tard, nous viendrons montrer l’idée du fait : pour me servir d’une comparaison anglo-saxonne, ils mettent les verres sur la table en attendant que nous venions les remplir… eh !