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GÉOGRAPHIE.

ment, sont mortes, mais dont plusieurs feraient bien de renaître.

Bien plus, il n’est pas absolument sûr qu’à l’aurore de la guerre de Cent Ans la France n’eût pas autant d’habitants qu’au seuil du dix-neuvième siècle. Certes, nos villes sont beaucoup plus grandes qu’en 1300, et parmi ces villes, tel baraquement immense où la vie déborde, entrepôts devant une forêt de mâts, assemblées d’usines, puits de houille, ateliers sans fin, n’était alors qu’un hameau, parfois qu’un désert ; et çà et là diverses contrées ont doublé, souvent même décuplé le nombre de leurs demeures ; mais aussi que de cités ont diminué ou disparu, que de monts, de plateaux, ont moins de maisons qu’il y a six cents ans ! Et les maisons, presque vides aujourd’hui dans la moitié de la France, étaient alors toutes pleines d’enfants.

La Peste Noire secoua ses poisons, et après ce fléau « dont bien la tierce partie du monde mourut », le canon, la dague et l’arquebuse, l’Anglais, l’Armagnac, le Bourguignon, le lansquenet, le protestant, le catholique, agrandirent démesurément les cimetières autour des églises de la France de saint Louis. Pendant deux siècles et demi de fatales années, la vie ne put racheter la mort. Et peu à peu la solitude étendait son froid empire sur le plus beau royaume du monde après celui du ciel.

Mais que sert d’interroger un passé muet ? Questionnons les nombres : non pas les nombres vrais, car il n’en est guère, mais les nombres probables.

Il y a cent ans, la France avait environ 24 millions d’hommes, l’Autriche 18 millions, la Russie 17 millions, l’Allemagne 15 millions.

Aujourd’hui, la France, augmentée seulement d’un tiers, est à peine égale à l’Autriche, qu’elle dépassait d’un quart en 1780 ; la Russie, accrue de son propre sang et par de grandes conquêtes, a près de 100 millions d’hommes, cinq à six fois les 17 millions d’il y a