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ALGÉRIE.

villes, sous les mosquées, ils ne peuvent pas ne pas s’être intimement mêlés ; et de fait bien des tribus savent qu’elles ont dans leur sein les deux éléments,

Ainsi, les deux grandes parts du peuple indigène ont en grand nombre des ascendants communs. Ce n’est pas tant la race qui les distingue. Y a-t-il des races aujourd’hui ? Chez le Kabyle algérien comme chez l’Arabe on trouve toutes les figures, de la face blonde à l’empreinte méridionale, qui d’ailleurs domine immensément.

Une chose les distingue avant tout : le séjour. Le Berbère, habitant la Montagne, à les vertus du montagnard ; l’Arabe est l’homme de la Plaine, avec ce que le pays bas, plat, chaud, clément, donne de qualités et de vices.

Par cette différence de séjour, le Berbère est l’Auvergnat, le Limousin, le Savoisien de l’Afrique ; l’Arabe en est le gentilhomme qui se ruine, artiste auquel chaque jour qui passe ravit l’enivrement d’un songe, lazzarone que le Berbère et le Français chassent peu à peu de sa place au soleil. Pendant que le Berbère pioche la Montagne, l’Arabe de la Plaine et du Désert méprise le travail des champs. « Où entre la charrue, entre la honte. » Sous la tente, dans les gourbis[1], il aime à rêver tandis que sa femme et son bourricot versent leur sang en sueurs sous les cruels soleils. C’est l’ami des hyperboles, des contes bleus entre la cigarette et la tasse de café noir, l’ami des chansons nasillardes célébrant les belles guerres et les belles amours, l’ami de la chasse, l’ami des combats, l’ami surtout du soleil et de l’ombre selon l’heure et la fantaisie. Nomade par instinct, ce peuple l’est aussi par l’indivision de la propriété dans un grand nombre de tribus : sans droits sur le sol qu’ils cultivent par octroi temporaire, les Arabes l’égratignent à peine. Vaincus, ils se courbent : « c’est, disent-ils, la volonté de Dieu. » Ils disent aussi : « Baise la main que tu ne peux couper. »

  1. Huttes misérables.