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sujétion de la corée

découpures profondes, décrit une longue courbe régulière, comme pour repousser l’étranger. Elle ne devient hospitalière qu’à son extrémité méridionale, séparée de l’archipel du Japon par une manche étroite. C’est par cette terre avancée que se firent, pendant le cours de l’histoire, les échanges pacifiques et les invasions guerrières entre le continent et les îles japonaises.

Depuis Carl Ritter, on a souvent comparé la Corée à l’Italie, et de fait, les deux presqu’îles se ressemblent beaucoup. La superficie est de part et d’autre à peu près la même, et la disposition générale du relief présente de grandes analogies. La Corée a son hémicycle des Alpes, mais un hémicycle incomplet, dans le Tai-pei-chañ ou « Grande montagne blanche » ; elle possède aussi son arête des Apennins dans les monts qui se poursuivent le long de la côte orientale jusqu’aux promontoires dirigés vers le Japon ; enfin, comme l’Italie, la Corée se divise en plusieurs provinces naturelles qui furent autant d’États et maintinrent longtemps leur autonomie. Mais si les deux corps péninsulaires sont matériellement construits sur le même modèle, combien différent en fut le rôle historique, par suite du grand contraste des terres ! Tout dépend de l’ensemble des énergies locales comparées à celles des nations environnantes : c’est ainsi que dans le roman de Swift, l’homme, Gulliver, est alternativement le plus faible et le plus fort des êtres, suivant qu’il se trouve au milieu de géants ou de nains. Tandis que dans la Méditerranée, l’Italie s’équilibre parfaitement en dimensions et en importance naturelle avec les deux autres péninsules de l’est et de l’ouest, la Balkhanie et l’Ibérie, et que, grâce à sa position centrale dans le monde civilisé, elle acquit même, pour de longs siècles, une prépondérance politique absolue, non encore disputée par les barbares du nord, la Corée, Italie de l’extrême Orient, très à l’étroit entre ses deux puissantes voisines, a dû presque toujours graviter dans leur orbite, et jamais elle ne se redressa dans une fière indépendance. En outre, les périodes d’autonomie relative, dues à la rivalité jalouse de la Chine et du Japon, furent souvent mises à profit par les diverses provinces, chacune désireuse de reconquérir sa personnalité politique. Lorsque la Corée apparaît pour la première fois dans l’histoire, seize siècles environ avant notre époque, la péninsule comprenait plusieurs États distincts, dont l’un, vers le centre, se composait de « soixante-dix-huit royaumes »,