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l’homme et la terre. — chrétiens

que ce qui était vieilli et corrompu. Les chrétiens n’imitaient que des imitations et ne copiaient que des copies.

De même toutes les connaissances et raffinements de l’esprit furent méprisés par les néophytes. L’éducation, même celle des chrétiens, était forcément païenne, puisque ceux qui professaient la « folie de la croix » étaient des ignorants. L’école restait ainsi d’une façon indirecte l’ennemie du christianisme : elle contraria longtemps la religion nouvelle, de même que, de nos jours, l’éducation catholique subjugue encore les enfants des penseurs libres. Institutions, mœurs, langage, la vie entière était imprégnée de l’esprit du passé et pénétrait, transformait le christianisme, même quand celui-ci eut conquis le pouvoir matériel. Étouffés par le régime politique, les citoyens n’avaient plus de vouloir ni de franchise, et leurs arts avaient perdu la sincérité de l’expression, la littérature était devenue rhétorique et formule convenue, la pensée n’était plus qu’un reflet et la philosophie avait cédé la place aux rêveries mystiques.

L’infériorité patente des chrétiens au point de vue de la science, de la poésie, des arts plastiques contribua pour une part à fortifier chez les conservateurs romains le sentiment de mépris qu’ils éprouvaient à l’égard de la religion nouvelle, déjà tenue pour honteuse à cause de son origine orientale et du milieu dans lequel se recrutaient ses adeptes, esclaves, affranchis, prolétaires et pauvres pécheresses. Et pourtant cette origine populaire, avec toutes les conditions d’un pareil milieu, fut précisément ce qui permit au christianisme de se développer et de triompher à la longue, en dépit de l’aversion que les raffinés de la civilisation gréco-romaine lui témoignaient. Certes, les nobles stoïciens, qui se tenaient à l’écart de la société corrompue d’en haut et qui tâchaient de vivre conformément à leur bel idéal avec les rares amis qui les comprenaient, formaient un groupe admirable, contrastant avec la multitude ignorante et envieuse des chrétiens. Religion de tête, le stoïcisme avait beau exalter la pauvreté, glorifier l’esprit de sacrifice, élever le dur labeur au-dessus de la richesse et des plaisirs, exiger la « charité » du cœur qui cherche à se faire pardonner le bienfait, le peuple resta sourd à cet enseignement, auquel manquait la sanction grossière et traditionnelle des récompenses et des peines. Le stoïcisme était trop sincère et trop pur pour promettre de placer ses fidèles à la droite de Dieu et pour attirer à soi les cruels et les vin-