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l’homme et la terre. — chrétiens

il lui manquait un ensemble de terres fertiles et populeuses servant de point d’appui à ses forces militaires ; il suffit de couper les chemins autour d’elle pour la réduire à l’inanition et à l’impuissance[1].

Ce dédoublement de l’empire, qui n’avait pas réussi à des ennemis, était devenu tellement nécessaire que les empereurs mêmes durent le réaliser. D’ailleurs, des signes prémonitoires avaient depuis des siècles indiqué le partage futur des possessions de Rome. L’immense ellipse devait avoir deux foyers. Antoine n’avait-il pas été le maître de l’Orient dans Alexandrie, et, avant lui, César n’avait-il pas songé à transporter dans cette ville, ou bien à Troie, la capitale du monde romain ?[2] Trois siècles après, sous le règne de Dioclétien, le travail de dissociation était déjà tellement avancé que cet empereur, génie administratif de premier ordre, avait pris les devants en divisant lui-même l’immense agglomération de ses territoires en quatre segments, énormes déjà, deux gouvernés par des Augustes et deux soumis à des Césars, ayant rang d’empereurs mais de dignité secondaire. En même temps, il voulut soustraire le pouvoir absolu au reste de puissance que pouvait encore exercer la tradition romaine, puisque, pour remanier l’empire à nouveau, il fit choix de deux capitales en dehors de Rome découronnée, Milan, dans la moitié occidentale de l’empire, et Nicomédie, dans la moitié orientale. Son œuvre toutefois ne fut que provisoire ; chaque empereur ne pouvait que tendre à la domination sans partage et l’unité nominale fut rétablie, pour un temps, après la victoire d’un des successeurs de Dioclétien sur les autres copartageants de la dignité impériale.

Constantin fut le plus fort : il se trouva soutenu par une puissance qui donna soudain à l’empire un regain de cohésion et d’unité. Cette puissance fut la religion chrétienne, plus unie et plus solidaire dans ses manifestations que ne l’étaient, de l’Euphrate à l’Océan, les divers cultes païens, policés et barbares. D’ailleurs, il ressort nettement de la lecture des auteurs du temps que la lutte de laquelle sortit la proclamation du christianisme comme religion d’État n’eut aucun caractère religieux : les deux antagonistes, Constantin et Maxence, n’avaient d’autre objectif que la domination politique du monde. Nulle

  1. Eugène Guillaume, Les Ruines de Palmyre, Revue des Deux Mondes, 15 juillet 1897.
  2. Suétone, De Vita Cæsarum ; Horace, Odes, livre iii, 3, Iustum ac tenacem.