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l’homme et la terre. — carolingiens et normands

déjà bien loin de la mer, puisqu’ils entrent dans Périgueux par la porte dite depuis « porte Normande », preuve de la facilité avec laquelle les pirates s’organisaient en armées de piétons ou de cavaliers, car ils n’auraient certainement pu remonter l’Isle dans leurs bateaux de mer. Leur arrivée dans le royaume était si bien prévue que l’on prélevait régulièrement un « impôt des Normands » sur les populations. Parmi les villes du continent qui sont envahies, on cite Aix-la-Chapelle, Cologne, Trêves, Metz, Mayence, Worms, Nantes, Le Mans, Bordeaux, Toulouse, Melun, Meaux, Sens et même Clermont. On croit aussi qu’ils poussèrent jusqu’en Suisse, dans la vallée de Hasli, et ce seraient eux qui auraient porté aux indigènes la légende de Guillaume Tell, naguère si fièrement revendiquée par les républicains de l’Helvétie. Enfin une troupe de Normands eut, en 859, l’audace, presque inconcevable pour l’époque, de contourner l’Europe afin d’entrer dans la Méditerranée et s’établir en un camp de la Camargue, aller ravager les cotes de l’Italie, même piller la cité de Pise et d’autres villes[1] ; mais les navigateurs du Nord s’accoutumèrent vite aux voyages vers les terres méridionales et se rencontraient sur ces rivages avec d’autres pirates, les Sarrasins, qui en 838 avaient dévasté Marseille et en 869 faisaient l’évêque d’Arles prisonnier, tandis qu’entre temps les Normands remontaient le Rhône jusqu’à Valence[2].

A la fin du neuvième siècle, l’Allemagne du moins réussit à s’affranchir de nouveaux pillages par la victoire que l’empereur Arnulf de Carinthie remporta près de Louvain, aux bords de la Dyle (891), sur les Normands qui y étaient établis depuis six ans ; d’ailleurs, les invasions n’avaient guère de raison d’être à cette époque, puisque le pays, dévasté, n’avait plus de valeur pour les pirates. Mais sur les autres parties du littoral européen la pression ne fit que s’accroître. Tandis que des Normands disputaient l’Angleterre aux Saxons et aux Danois, d’autres Viking Scandinaves s’aventuraient dans la Méditerranée par le détroit de Gibraltar et capturaient des esclaves, enlevaient du butin dans les Baléares, sur les côtes africaines, en Italie, en Grèce, même en Asie Mineure. Dès l’an 896, un banni normand, Rou (Rolf, Rollo, Rollon), s’établissait solidement sur la terre ferme de France et commençait une campagne méthodique de conquête. Tandis qu’une armée Scandinave

  1. Annales de Saint Bertin ; Alfred Maury, Revue des Deux—Mondes, 15 sept. 1880.
  2. Kleinclausz, dans l’Histoire de France de E. Lavisse, II, 1, p. 381.