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saint bernard

non de Pierre, mais de Constantin. Accommode-toi au siècle, s’il le faut ; mais, revêtu d’or et de pourpre, ne dédaigne pas d’être pasteur et ne rougis pas de l’Evangile. »

Heureusement, dans les périodes de transformation politique et sociale, quand l’esprit humain cherche à renaître dans sa liberté, il est
D’après Sybel.
chevalier du temple
des hommes qui ne « s’accommodent point au siècle ». Le temps des Croisades fut une époque de renouveau non moins pour les hérésies que pour l’Eglise elle-même. Si les dissensions religieuses avaient été relativement rares pendant la première partie du moyen âge, elles devaient au contraire devenir très fréquentes à une époque où les populations d’Occident et d’Orient entraient en contact de toutes les manières, même par leurs idées, leurs croyances et leurs mythologies respectives : tout changement dans le, monde des esprits devait ébranler la tour du dogme qui prétend se dresser immuable comme un phare au-dessus des flots. Néanmoins les classes supérieures, qui fournissaient des recrues à la chevalerie et aux couvents, pouvaient trouver une issue à leurs inquiétudes spirituelles soit dans les aventures périlleuses, soit dans les spéculations philosophiques ; elles s’accommodaient de leur mieux à l’immense et souple vêture de l’Eglise universelle qui, sous une apparence d’unité, abrite tant d’opinions et de passions diverses. C’est dans le peuple, non dans la société dirigeante, que prennent naissance les hérésies. Les Abélard, les Bérenger de Tours et autres scholasques ne touchaient à l’Eglise établie que par des subtilités de dialectique et ne pouvaient entrer dans la vie profonde de la nation. Leurs passes d’armes et luttes oratoires firent le régal des lettrés, mais n’eurent aucune influence sur les gens du peuple. La gloire immortelle d’Abélard ne