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l’homme et la terre. — chevaliers et croisés

saint Pierre. Nous louons ton dessein : recule les limites de la Sainte Eglise, et fais-toi un nom glorieux dans tous les siècles. » Et avec cette bulle, le pape envoya en signe d’investiture au roi d’Angleterre un anneau d’or orné de l’émeraude symbolique[1]. L’île d’« Emeraude » fut en effet partiellement conquise, Henri II bâtit son palais dans la ville de Dublin comme pour y ancrer à jamais sa puissance, et les Irlandais furent privés de leur indépendance, de leur civilisation propre ; rejetés dans la pauvreté et la barbarie, ils commencèrent la période douloureuse de leur histoire de servitude et d’abaissement moral qui dure encore et qui, par une singulière ironie des choses, devait les rattacher étroitement à cette même Eglise romaine par laquelle ils avaient été vendus à l’Angleterre.

Tandis que des croisades partielles s’accomplissaient à l’Occident, la croisade proprement dite contre l’Islam continuait en Orient. La troisième croisade partie pour reprendre Jérusalem donna même lieu à la scène la plus décorative et la plus romanesque de la guerre, puisqu’on y vit apparaître à la fois, d’un côté, le héros Barberousse qui disparut obscurément et dont s’empara la légende, le bouillant Richard Cœur de Lion, le prudent politique Philippe-Auguste, et de l’autre côté, Saladin, le modèle de tous les chevaliers, arabes ou chrétiens. Mais l’importance des résultats ne répondit pas à la grandeur de la représentation. Jérusalem ne fut point reconquise par les chrétiens et tout ce qu’ils obtinrent de leur courtois adversaire, ce fut la faveur d’aller sans molestations s’agenouiller devant le Saint-Sépulcre. En outre, un troisième ordre de chevalerie religieuse s’était formé, celui des chevaliers Teutoniques, dont le glaive devait bientôt après se faire si cruellement sentir aux païens de la frontière allemande, chez les Prussiens et les Lithuaniens.

La quatrième croisade ignora même Jérusalem. Elle avait pris la vallée du Nil pour objectif, afin de s’y emparer des campagnes riches en blé et du marché des Indes, mais en route, les Vénitiens, qui transportaient les Croisés dans leurs navires, dirigèrent leurs avides alliés vers un autre but, Constantinople. Jusqu’alors les bandes occidentales, tout en se heurtant fréquemment contre leurs hôtes de passage, les

  1. Nap. Peyrat, Les Réformateurs au douzième Siècle, p. 445.