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l’homme et la terre. — orient chinois

moins, constituant un petit univers ou cosmos, un mir pareil à ceux de la Russie : un reste de l’ancienne solidarité communale et terrienne se maintenait, comme le charbon sous la cendre du foyer.

Quelques traces de cette organisation communale sous un régime de féodalité se voient encore en maintes parties de la Chine et dans les contrées ayant pris pour modèle la civilisation chinoise, notamment en Corée[1] ; mais les guerres intestines, les migrations intérieures, les poussées de population modifièrent l’équilibre existant et, vers le quatrième siècle avant l’ère vulgaire, une transformation générale avait eu lieu dans le régime de la propriété. La plus grande partie des terres avait changé de mains et le mode de tenure s’était dégagé des formes féodales. Les maîtres du sol le possédaient désormais sans conditions, et les paysans, auxquels on avait enlevé même la motte de gazon où ils auraient pu « planter une aiguille », n’avaient plus d’autre ressource que celle de l’esclavage. Pourtant ils se révoltaient souvent : la guerre civile était en permanence, et suivant les alternatives des révolutions, les paysans, cramponnés au sol nourricier, réussissaient parfois à en retenir un lambeau. D’ailleurs, le souverain avait intérêt à se rapprocher du peuple pour ne pas se trouver à la discrétion des grands propriétaires, et l’empereur Wangmang, contemporain d’Auguste, osa revendiquer un jour la possession de la terre pour lui seul, ainsi que le droit de la répartir conformément à l’équité. Désormais nul sujet ne pouvait détenir d’espace cultivable supérieur a un tsin, soit environ six hectares, et commander à plus de huit esclaves mâles : c’était précisément le nombre des anciens communiers de chaque groupe agricole. La terre se trouvait ainsi distribuée suivant la proportion des besoins ; mais les mandarins, propriétaires eux-mêmes, n’eurent garde de se déposséder et le régime de l’accaparement du sol se rétablit après une apparente disparition. La volonté d’en haut n’avait pu changer le cours de l’histoire : à de pareilles révolutions, il faut la volonté unanime du peuple et la pleine conscience de son droit, appuyé sur sa propre force.

Depuis cette époque, la lutte pour la possession du sol a toujours continué avec des fortunes diverses et sous mille formes, sociales ou politiques, jamais n’a cessé d’être la cause profonde de tous les grands

  1. Zakharov, articles dans Arbeiten der russischen Gesandtschaft zu Peking. Berlin, 1858.