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l’homme et la terre. — les monarchies

Les animaux domestiques disparurent en grande partie, volés par les rôdeurs ou bien enlevés par les maladies et tombant d’inanition ; en certains districts, il ne restait ni bœufs, ni vaches, ni volailles, les abeilles mêmes furent tuées par la pestilence. Les rapaces et les bêtes de proie se refusaient à manger la chair des animaux putréfiés : il fallut désigner des « cadavérateurs » spéciaux pour enfouir toutes ces matières en décomposition. Les plantes nourricières mêmes étaient malades, et les « herbes médicinales », dit un auteur du temps, « distillaient du poison[1] ».

La peste régnait aussi sur les hommes, et cette peste n’était, en réalité, qu’une autre forme de la misère. Pour les malheureux paysans, 1348, le « surlendemain » de Crécy, fut l’année fatale par excellence, puisque les annalistes racontent que plus d’une moitié de la population avait été emportée par le fléau : des villages furent effacés de la terre sans qu’il en restât souvenir : en certaines villes, comme Norwich, plus des trois quarts des habitants succombèrent à la « mort noire ». Le clergé fut encore plus frappé que les laïques : en un seul diocèse, celui de Norwich, on eut à remplacer 863 « recteurs » ; on ordonnait précipitamment des laïcs pour la seule raison qu’ils savaient lire ou qu’ayant perdu leur femme, ils pouvaient prononcer le vœu de célibat. Les pestes qui suivirent causèrent moins de mal, car le vide s’était déjà fait devant la mort, mais de fréquentes reprises se succédèrent, comme des incendies renaissant d’un foyer mal éteint. On évalua en général à une vingtaine d’assauts les attaques de la peste qui se renouvelèrent pendant la fin du quatorzième siècle et la durée du quinzième, mais il est plus vrai de dire que la maladie se maintint pendant toute cette période avec plus ou moins de violence. Les rapports étaient interrompus de ville à ville. En 1406, le roi Henri IV manqua fort d’être capturé par des pirates, parce que, n’osant pas traverser Londres, il s’était aventuré sur la basse Tamise pour aller du Kent dans l’Essex : une partie de son convoi fut enlevée. La cérémonie du baise main tomba en désuétude, le vassal craignant de contaminer ses lèvres, le suzerain n’osant pas livrer sa main.[2]

Dans ses études historiques sur le moyen âge en Angleterre, Denton essaie de calculer le mouvement de la population depuis Guillaume le Conquérant. Il semble qu’il y eut progrès réel, quoique lent, pendant la période normande, jusqu’après la mort d’Edouard Ier. Au milieu du

  1. Troketowe ; — W. Denton, England in the fifteenth Century, p. 85 et suivantes.
  2. W. Denton, ouvrage cité, pp. 97, 105.