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l’homme et la terre. — mongols, turcs, tartares et chinois

exercer et à subir, ne pouvaient trafiquer directement et devaient se faire représenter par des tiers ayant le droit de se montrer partout. Aux Juifs revenait ordinairement le métier lucratif de « francs voyageurs », permettant de se présenter en tous lieux sans crainte d’être mis à mort. Mais le passe-port universel donné aux « Juifs de la montagne », analogue à celui qui dans l’Inde est assuré aux marchands povindah, et qui naguère appartenait également aux Tsiganes d’Europe, n’allait pas sans être accompagné de certains inconvénients, car tout s’achète ici-bas. Les superbes Tcherkesses, les Lesghiens indomptés qui regardent fièrement leurs adversaires, les yeux dardés contre les yeux, accueillaient naturellement avec un certain mépris des hommes qui n’avaient pas de poignard dans la main et ne savaient pas haïr comme eux, qui se présentaient en souriant toujours humblement, le dos courbé, comme pour se faire pardonner l’odeur de l’étranger qu’ils apportaient dans leurs vêtements. Aussi le trafiquant juif devait-il se résigner à l’insulte, aux humiliations, même aux outrages. Son métier ne lui assurait pas le respect dû à des hôtes. Mais d’autres Juifs caucasiens n’exerçaient pas ce rôle d’intermédiaires qui, en tant de pays, est devenu le monopole de leur race : des groupes nombreux, notamment dans les hautes vallées du Daghestan, s’adonnent à l’agriculture ; ce sont les laboureurs les plus intelligents du pays lesghien et l’on se dispute leur vin et leur garance sur les marchés. Grâce à des habitudes héréditaires, ces Juifs ressemblent à ceux dont la Bible nous parle comme aimant à vivre à l’ombre de leurs oliviers et de leurs figuiers et se distinguent singulièrement des marchands et des prêteurs à la petite semaine par leur esprit de tolérance et par leur hospitalité.

Vers le centré de l’empire mongol primitif, les invasions qui s’étaient faites dans les pays turcs, et, plus au sud, dans l’Iranie, avaient eu également pour conséquences de grandes transformations ethniques. Les Turcs avaient fini par prédominer, même parmi ceux qui se réclamaient du nom de Mongols, c’est-à-dire chez les khan de Djaggataï, dont le domaine comprenait surtout la partie actuelle du Turkestan et de la Sibérie, comprise entre l’Irtîch et l’Oxus ou Amu-daria. Ces campagnes qu’arrosent de grands fleuves et que fertilisent les terres alluviales apportées des monts orientaux, Tian-chan, Alaï, Pamir, très exposées à l’invasion et à la conquête, puisqu’elles sont largement ouvertes au nord vers les steppes des nomades, peuvent néanmoins se repeupler faci-