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l’homme et la terre. — nationalités

fut saisi, jeté dans un cachot, puis livré à l’empereur de Russie, le grand-maître de la réaction européenne.

Ce fut également au tsar Nicolas que s’adressa le gouvernement d’Autriche pour venir à bout de l’insurrection des Hongrois. Ce peuple asiatique, frère des Turcs par l’origine et par le langage, avait obéi à d’autres destinées que son voisin des contrées balkhaniques. La religion les avait irrémédiablement divisés les uns des autres : tandis que les Turcs s’étaient constitués en avant-garde des nations musulmanes, les Hongrois ou Magyars avaient été, de par la situation géographique, placés en tête de toutes les nations chrétiennes et, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, ou même absolument soumis, ils avaient eu à souffrir plus que tous les autres dans la lutte interminable et sans merci. Mais, quoique se sacrifiant pour la cause de tous, les Hongrois n’étaient qu’à demi accueillis par les autres Européens : on les connaissait à peine et l’on voyait en eux ce qu’ils étaient en effet, des Asiates non encore adaptés à leur milieu dans ce chaos des peuples, Slaves, Allemands, Italiens, Roumains et Frioulans parmi lesquels ils s’étaient aventurés. Ne pouvant apprendre tous ces parlers si différents de leur propre idiome, les Hongrois avaient pris naturellement pour langue d’intercourse celle qui était en usage dans toutes les chancelleries où se rédigeaient des conventions et des traités. Leurs propres scribes, leurs moines s’étaient mis à employer la même langue, le latin, et pendant huit siècles, jusqu’en 1848, les souverains et leurs vassaux, les juges, les clercs, même les propriétaires de campagne le parlèrent entre eux ; ce latin était d’ailleurs très modifié, réduit à une sorte de jargon, indigent en formes verbales[1].

La révolution de 1848, qui poussait les Hongrois à la revendication de leur nationalité, à la restauration de leur langue, à la reconquête de leurs droits, les fit entrer pour la première fois en nation européenne parmi les populations occidentales qu’agitait alors le même mouvement de liberté. Leur héroïsme les sacra frères de ceux qui avaient été les plus grands dans la civilisation aryenne. La situation militaire des Hongrois semblait tout d’abord désespérée : leur armée ne comprenait guère que des bandes irrégulières, tandis que les Slaves de la contrée, unis à ceux des provinces voisines, même à des volontaires de la

  1. Anton Bartel, 1896, Dictionnaire.