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l’homme et la terre. — nationalités

Parmi les anciens cultes, celui qui se maintient le mieux est le rite shinto, « chemin des dieux », dont l’origine est purement nationale, puisqu’il ne faut y voir au fond que la vénération des ancêtres, c’est-à-dire de la race elle-même ; quant au bouddhisme, que l’on croyait incorporé dans le fond même de l’âme japonaise, il n’est plus guère qu’un souvenir poétique des anciens temps, une superstition comme la vague croyance aux fées et aux gnomes. En fait, les Japonais sont devenus plus Européens que les Européens mêmes ; en majorité, ils ont dépouillé le vieil homme religieux pour ne plus croire qu’aux lois déduites de l’observation des faits et du contrôle de l’expérience.

Quoi qu’il en soit, une chose est certaine, c’est que l’influence européenne s’est fait sentir d’une façon vraiment révolutionnaire au Japon, tandis qu’en apparence du moins, la puissante masse du peuple chinois aurait été moins entamée. C’est que l’énorme épaisseur continentale est beaucoup plus difficile à pénétrer que l’archipel Japonais, accessible de toutes parts. Au milieu du siècle, lorsque le royaume du Soleil Levant s’engageait déjà dans le mouvement décisif d’évolution, la Chine, dont la population était au moins décuple, pouvait opposer ainsi une force dix ou douze fois supérieure aux éléments étrangers de transformation : c’est ainsi qu’un liquide coloré finit par disparaître dans une grande quantité d’eau transparente.

Entre l’archipel Japonais et le continent d’Asie, la péninsule de Corée se trouvait, en vertu même de sa position géographique, placée, par les événements qui s’étaient accomplis au milieu du siècle, dans une situation politique tout à fait équivoque et indécise. Quoique de grande étendue et d’une forme très bien limitée, lui assurant une individualité parfaite, cette péninsule n’avait pu échapper aux invasions successives et alternantes des deux empires qui la tenaient comme dans une mâchoire. La prise de Péking par les alliés et l’humiliation définitive de l’empire écarta désormais pour la Corée le danger de la domination chinoise, mais la Chine laissa la place à une puissante héritière qui, à son tour, disputa au Japon le rôle prépondérant dans la gérance future de la Corée et se voit éliminée de nos jours sur les champs de batailles de Mandchourie. Un demi-siècle d’intrigues et de machinations diplomatiques rappelant un jeu d’échecs par la série des coups, dont les ministres et les consuls, les commerçants et les missionnaires étaient les pièces, ont donné la suprématie tantôt à l’un, tantôt à l’autre gouvernement ; la Corée, comme